LIRE avec Binaros : « Le chemin Walter Benjamin », Lisa Fittko, 2020

Le chemin Walter Benjamin Lisa Fittko, 2020, Librairie du XXe Siècle, Le Seuil

Cette réédition de la traduction de Léa Marcou, du récit de Lisa Fittko (1909-2005), Mon chemin des Pyrénées, souvenirs 1940 1941, est particulièrement bienvenue. Lisa Fittko est une résistante de la première heure au nazisme qui, en 1939, est en France. Arrêtée car allemande (comme bien d’autres dont Walter Benjamin son voisin d’immeuble à Paris), elle se retrouve en mai-juin 1940 derrière les grilles du camp de Gurs. Elle s’en évade, et après quelques étapes à Pontacq « ce village basque », Lourdes et Marseille, elle arrive à Banuyls. De septembre 1940 à avril 1941, elle organise et réalise, avec son mari Hans, des passages clandestins de la frontière. Elle emprunte les chemins de contrebande, déjà utilisés guère plus d’un an avant par l’armée républicaine de Lister en retraite, pour conduire réfugiés sur le chemin de l’exil et évadés sur ceux du retour au combat. Pour le réseau, c’est la route F (comme Fittko), qu’elle inaugure en accompagnant « le vieux Benjamin ». S’il arrive à rejoindre Port-Bou, grâce au soutien et à la patience de sa guide, et à leur détermination commune, il n’y trouve pas le chemin de la liberté. « En cette ère de nouvelles réglementations », sans cesse modifiées, contradictoires et temporaires, au poste frontière, Walter Benjamin apprend que, sans visa de sortie, il va être reconduit en France, donc livré à la Gestapo. Il décide alors de mettre fin à ses jours. Ce premier passage est néanmoins suivi de bien d’autres, d’une part les risques de cette clandestinité et, d’autre part, les complicités locales pour les déjouer. En mars 1941, les étrangers sont décrétés indésirables aux abords des frontières, et après avoir obtenu des laisser-passer grâce au soutien exprimé de voisines et voisins, ils reprennent le chemin de l’exil vers Cuba et les USA, en passant par Marseille.

Ce récit de mémoire, reconstitué quarante-cinq après, dans sa simplicité est d’une grande force. Il résonne avec notre aujourd’hui, les politiques d’accueil des migrants, leur fragilité, la montée en puissance de nos sociétés de contrôle. Et à l’inverse avec la présence irréductible de celles et ceux qui questionnent, résistent, accueillent, soutiennent parfois simplement par leur silence… « Aucun de nous n’aurait survécu s’il ne s’était trouvé dans le pays, des Français pour lui venir en aide. Des Français qui puisèrent dans leur humanité le courage de recueillir, de cacher, de nourrir ces étrangers traqués. »

« Présent du passé » comme le déroule Edwy Plenel, dans un long et salutaire avant-propos daté de juin 2020, à partir de son expérience de ce parcours devenu depuis « Chemin Walter Benjamin ». Au-delà de la remise en contexte de ce récit de mémoire, de la présentation de Lisa Fittko et de son action, il lie intimement ces faits du passé avec nos présents. Car « arpenter les Pyrénées catalanes, dont tous les anciens chemins de contrebande furent les sentiers de la liberté au siècle passé, conduit inévitablement au souvenir des exils d’hier et à l’actualité des réfugiés d’aujourd’hui. »

Cette réédition est présentée « comme un acte d’engagement » pour nous accompagner, avec ces exemples d’hier, à regarder en face la fragilité de « nos sociétés apparemment démocratiques confrontées à l’avènement, par le sacre de l’élection, de pouvoirs autoritaires dont les politiques violent les libertés et les droits fondamentaux, en utilisant la désignation de boucs émissaires — l’étranger, le différent, le dissident, l’opposant — pour museler » leurs populations. Il invite à entendre, à faire sienne, l’alarme tirée par Benjamin, celle qui rappelle qu’il « n’est pas de témoignage de culture qui ne soit en même temps un témoignage de barbarie. » A ne pas croire au mythe du progrès d’une histoire consensuelle écrite par les puissants ; à ne pas croire qu’un état d’urgence, d’exception n’est que parenthèse. Mais à faire preuve de vigilance, de résistance en marchant pour dessiner un chemin de liberté. « L’heure d’y aller avait sonné » écrit Lisa Fittko…

                              Renaud de Bellefon


Postez un commentaire