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La voie du vide et du vent. Kenneth White & Patrice Reytier. Éd. Rue de l’Échiquier. 96 pages, avril 2021
Lors du prochain Salon du Livre Pyrénéen (douzième du nom), une bonne partie de l’après-midi du samedi 3 octobre sera consacrée à une rencontre autour d’une fraction de l’œuvre de l’essayiste, poète, écrivain
originaire d’Écosse, Kenneth White. Auteur de plusieurs dizaines d’ouvrages, dont une cinquantaine traduits en français, il est le fondateur de l’Institut international de géopoétique. Il n’est guère aisé de définir en quelques phrases le concept et la pratique de la géopoétique. Gageure? Chiche !
Nomade intellectuel, grand voyageur ayant séjourné une douzaine d’an- nées en Béarn, aujourd’hui vivant dans son « ermitage » breton, Kenneth White ne cesse de pérégriner à travers les vastes territoires de la pensée, associant littératures de tous horizons et géographie, géologie et philosophies, cartographie et arts plastiques, autobiographie et même politique, il vise à une « appréhension complète du monde ». Pour ne s’en tenir qu’au versant poétique de son œuvre, mais sans oblitérer la matrice complexe des horizons infinis brassés dans son travail de penseur, nous vous proposons d’entrer dans ce vaste domaine par une porte originale, d’accès aisé, à hauteur de néophyte pénétrant le foisonnant labyrinthe mental, conceptuel et sensible whitien.
Quatre-vingt seize pages douces, colorées, vagabondes, en forme de comic strip (ouvrage au format horizontal, trois cases d’images par page) dessinées par le talentueux bédéaste Patrice Reytier. La voie du vide et du vent n’a rien du pensum touffu mais tout de l’invitation au vagabondage serein, à la méditation débarrassée de toute mystique, au cheminement dépouillé d’emphase, à l’instantané de la perception paisible. Trois cases dessinées, comme trois vers de haïku, trois cases où se glissent de minces phrases de Kenneth White, inédites ou extraites de ses livres, comme autant de clés discrètes et d’usage immédiatement familier. Alors, nous pénétrons ce monde si près de nous, ces mondes qui trop souvent nous échappent, par distraction, négligence, sur- plomb, précipitation.
Trois cases pour s’extirper de toute mesure comptable et laisser place au silence, à la surprise, à l’implicite
Révoquons niaiseries et vanité. Nous voici marchant en territoire chamanique ou bien contemplant un matin de neige à Montréal, visitant la maison d’Érasme ou embarqués dans l’express Bergen-Oslo, pris dans le vol du fou de Bassan ou à l’écoute du sermon du chardon bleu, au pied de la tour de Culross si ce n’est à Albi, ce matin-là… Sans oublier ni la masse du Monte-Perdido ni la beauté et le mystère du bouleau argenté.
Le grand dehors est au tournant de chaque page : « Le col de Marie-Blanque n’a rien de grandiose. C’est un petit col de rien du tout. On n’y fait pas de prouesses. On y cherche autre chose ». À l’instar de K. White, on vise à rétablir et à enrichir le rapport homme-terre rompu ou en voie névrotique de l’être. On ne construit pas un énième système pesant et perdu avant même d’être expérimenté, mais on rode (aux deux sens du verbe), ici et maintenant, une relation dynamique entre notre présence discrète et ce monde qui nous entoure, nous exalte, nous effraie, nous séduit. Ce monde qui est, en dépit de nous. « Si elle jouit de l’été / l’Argens aime aussi le ciel gris/ car il éloigne les sots / les jours de grisaille / elle est seule, toute seule / avec ses roseaux et ses saules ». Trois cases pour une immensité, trois cases pour une incompressible sobriété, trois cases pour s’extirper de toute mesure comptable et laisser place au silence, à la surprise, à l’implicite. Trois cases pour être là, même si nous n’y sommes jamais allés. Des crêtes, des vagues, des nuages, des livres, des arbres, des oiseaux. Du vide et du vent. Qui traversent, emplissent, sont déjà ail- leurs. Et nous avec eux.
« Y a-t-il quelque part sur cette terre qui s’amoindrit / un homme comme moi / marchant au bord de l’océan ? »
Jean-Luc Chesneau